Revue
Une terre de faience miroitante
Le peintre d’un ciel de l’horizon
Philip Levy, Mai 1998, Paris.
Il existe deux marques distinctes, deux Marc Eliany. Deux plans, deux pans de l’individu, comme deux jambes. Deux complexes r?seaux, souterrains et apparents ? la fois qui constituent, construisent l’oeuvre et l’?tre. Jouet la trame est toute en m?me temps, au jour et ajour?, f?conde et secr?te.
Le premier pan est celui d’une ?vidence int?rieure port?e en lui. Ce lieu est une ?vidence, une histoire, son histoire de juif marocain-canadien-isra?lien-europ?en-mondialiste. Histoire structur? par une tradition enfouie et pens?e, autrefois, pour lui m?me, et pourtant si pr?sente. Elle ne cesse de le travailler pour produire un ?tat. Qu’est ce que c’est cet ?tat? Vu lieu doubl? d’un h?ritage et d’une m?moire retir?e et d?fass? par une conscience, un souvenir analitique prope ? son ?poque, ? sa nature d’?tre humain. Pourtant cet ?tat guarde une trace: une vie touchante, une innocence bless?e port?e en lui qu’il ?voquera – d’une fa?on ind?l?bile -? dans le regard des enfants d?racin?es: Tehyia, Sinayit et Yamit, d?racin?s ? nouveau – ?videment; qu’il evoquera par cette fleur color?e au rouge de coquelicot ou perdue adroitement sur le c?t? de la toile pr?sent?e et offerte; qu’il evoquera par ce corp de juif comme crucifi? dans les camps- exhum? ou enterr?? Mort ou vivant? Tel une deposition dans un instant arr?t? donn? ? voir comme une re-d?couverte pour que l’on oublie pas.
Signifiant comme “l’Ecorch?” de Rembrandt avec heureuse finesse du peintre- un clin d’oeil ? l’art de composer de Chagall. Derriere lui sommes nous en pr?sence du bourreau ou du fr?re? La question n’est peut ?tre plus l?. Les yeux absents montrent que ce qui compte c’est le geste, la choregraphie repr?sent?e. Le geste ? double sens qui prouve qu’il s’agit l? d’une histoire sans fin reposant sur l’extr?me liruite de l’ar?te aux versants li?es et peut-?tre confondus commme deux ailes d’ un m?me risque -perp?tuel- celui d’une mise ? jour ou d’un enfouissement vers l’oubli. Oubli aux alentours sombres qui rappelle le saisissement du “Retable d’Essemheim de Gr?nwald” et le tragique du Caravage. Car ce qui saute aux yeux – t?t ou tard – t?t ou trop tart, c’est cette complicit? volontaire ou non dans l’horreur comme desormais universelle – ce qui compte, c’est le lien entra?n? malgr? tout, malgr? soi, dans ce rapport entre deux ?tres pour lesquels nous attendons – souffle et battement en suspend – que reconnaissance et conscience soient enfin d?finitivement acquises. Cette oeuvre nous permettra de l’esperer au del? de ce double risque.
Mais derri?re cette fausse apparence et simplicit?, Marc Eliany continue de nous mettre en garde par ce monde qu’il d?voile et ouvre en d?signant ce pli au retour sur lui-m?me. Voila que ses origines orientales, foulard d?licat et coquet autour du cou de l’isra?lienne qui aussi signifie son appartenance; ce voile comme une peau sur la peau peut s’apparenter ? l’?piderme de l’eau et frisonner au moindre vent, au moindre soupir, au moindre sentiment. Au moindre souvenir et nous revenons l?, ? ce qui caract?rise ce premier plan, morceau d’etoffe en latin, de l’ histoire, vue religieuse, sociologique et anthropologique de cet artiste exprim?e par une lumi?re mouill?e, inconsolable et qui donne aux choses un halo d’un autre monde, la merveille d’une ros?e matinale – l’?blouissement d’un avenir ? d?finir. Car si l’homme ?bloui pareil ? “L’Etranger” de Camus peut se perdre, ce “mouill?” comme l’on dit en aquarelle apporte fra?cheure dans ce desert et ne conduit pas ? un aveuglement ? vue fine mais bien au contraire ? vue red?finition toujours port?e plus loin et plus haut que l’on entrevoit dans “les colonnes de l’espoir” par une vue inverse de la vue plongeonte, c’est ? dire du bas vers le ciel dans un mouvement tourbillionaire et vals? qui peut s’apparenter au danse religieuse, souffique, en arabe voulant dire “morceau de laine”, danse enivrante et extatique o? tente de fusionner corps et divin. Ces colonnes qui tournoient ont quelques choses de baroque et rappellent les fresques de guilio Romano pour le Palazzo delle T? ? Montoue. Le baroque devient chez Marc Eliany vu baroque d’approche, approches du ciel et de ses mythes. Il ouvre par le ciel – le ciel lui m?me; et la ligne d’horizon n’est plus ? l’horizontal de la hauteur des yeux, mais bascul?e au sommet dont l’altitude est infinie… Pos?e dans un coin du bleu… Alors il s’eprend d’une musique intime dont sa main f?brile, comme celle du compositeur note et griffonne des signes au plus pr?s des mots et de la calligraphie, comme dans “La Pri?re” o? nous revient l’image du “Philosophe”de Rembrandt se trouvant au mus?e du Louvre. Des signes au plus loin du litt?ral, comme une vibration en toute langue, poss?d?e par le biologique, l’humain, contenue dans l’arch?typale, c’est ? dire, dans le mod?le primitif. C’est la marque du moment, l’empreinte d’un ?nervement de la premier situation… comme chez Soutine…
Dans ce d?placement le long des oeuvres, ce parcours, l’on ?prouves la pr?sence d’autres artistes, De Sta?l, Klee, la periode Fauve de Matisse, Cezanne, un peintre juif Y?m?nite avec son “Immigrant en costume traditionnel.”
Apr?s ce lieu traditionnel, son enfance, son nomadisme, l’autre pan est celui d’une projection dans un devers ? ellaborer plastiquement.
Ce deuxi?me volet qui doit rester ouvert ? votre imagination, concerne la fabrication, le processus m?me de cr?ation de l’oeuvre. Oeuvre subtile qui me semble r?gie sous l’ordre de la superposition et de l’accolement. D?p?ts et juxtapositions par deux axes: verticalit? et horizontalit?, ?paisseur et collage, cette proc?dure d’ellaboration se produit en deux temps:
– le premier temps est classique dans sa m?thode: emprunts ? partir des copies des oeuvres de Cesanne par example.
– le deuxi?me temps est de laisser s’?chapper un oue, une s?ve de cette m?thode, s?ve toute ? la foit spirituelle, ?motionnelle et savante.
Il par du mur, de sa mat?rialit?, de sa forme carr? ou rectangulaire dont il a pris possession en copiant les maisons peintes de Cezannes ou Braque dans sa ville D’Estaque, puis transpos? cette materialit? en ciel. Celui-ci prend un autre corps, une autre substance: une ?motion -paradoxalement- par l’alchimie d’une superposition d’un corp mat?riel et d’une lamentation ouverte vers les cieux qu’il tente desormais d’entrevoir.
Et ce mur rappelle celui originaire et rep?re de tout un peuple, le mur des lamentations du Temple de Salomon ? Jerusalem o? s’est pos? peut-?tre, pour la premi?re fois, alors enfant, ce premier regard mouill?, innocent. Ce regard devient ? son tour r?f?rence – Noltige- au gr? de son voyages o? son esprit comme la feuille morte, la juge morte tourbillonne, et se tourne gr?ce ? un vent devenu souffle, espace, horizon.
Et il le repousse -ce regard- au plus loin- toujours- vers “ce mouill?” peint, qu’il tente d’approcher sans vouloir y demeurer: “Le refugier dans l’insaisissable” dit Nitzche, tendre, vers la recherche d’une extase appais?.
Son exile se dessine et se peint aux fronti?res d’une terre miroitante de ses reflets solaires – quelqu’ en soit le lieu -? log? dans une verticalit? ascensionnelle, bien “au dessus des miradors” et loin des guet-ajeus. Gradations aux bords que l’on retrouve chez Barnett Newman dans son oeuvre “Abysse Euclidien” de 1945. Son exil o? le bleu du ciel et de la mer-m?re ?voque une spiritualit? profonde et haute, ? atteindre. Pour cela, un accolement sans fin.
“Le mur de l’Acropole” chez Baudelaire ou des “Lamentations” chez Eliany et le lieu d’une ruine, d’un h?ritage sur lequel se b?ti l’oeuvre gr?ce au don de sa mutation, en une fen?tre d’esp?rance, d’apparence. O? la loi de l’artiste n’est pas seulement raison mais aussi vie, chaire et lumi?re. Fen?tre qui se trouve parfois pos?e sur une jambe comme celle de cet enfant Sinayit preuve de cette marche par et vers un corps innocent o? s’imagine comme le symbole d’une route ? tracer et ? voir.
Ici, l’oeil est embr? et la larme venant du fond du coeur une perle.